Chanson sur ma drôle de vie
Chanson sur ma drôle de vie ou l’histoire d’un titre à part dans la discographie de Véronique. Preuve patente que le public élit ses préférences, parfois à l’encontre même des choix de l’artiste. Rare pièce franchement gaie et légère dans une œuvre pour le moins tourmentée, facile à fredonner, elle est une des plus fréquemment citées spontanément par ceux qu’on interroge sur le répertoire de Véronique. C’est le titre le plus repris après Amoureuse (voir au bas de cette page).
LE TITRE :
Elle n’est pas la seule chanson de Véronique à avoir connu des variations de titres, mais elle bat à coup sûr tous les records : si la réédition CD valide définitivement le titre Chanson sur ma drôle de vie, on peut lire sur la pochette du 33 tours originel De l’autre côté de mon rêve, à la fois Chanson sur une drôle de vie, et Le tour de ma drôle de vie.
Les 45 tours annoncent Chanson sur une drôle de vie, tandis que la plupart des disques en public : Live at the Olympia (1976), L’Olympia 2005, Les années américaines (2016), entérinent le raccourci Drôle de vie officieusement adopté par tout le monde, Véronique la première.
Second 45 tours issu de l’album De l’autre côté de mon rêve à la fin de 1972, Chanson sur ma drôle de vie est bien un des vrais succès de Véronique, qu’on a pas mal entendu sur les radios à l’époque, beaucoup moins en télé puisque sa créatrice fut très vite aux abonnés absents, envolée vers d’autres horizons pour les raisons que l’on sait. Mais si elle fut au programme de tous les concerts dans les années ’70, puis lors de la tournée 83/84, elle a ensuite disparu des listes au profit de morceaux plus récents pendant plus de 20 ans. Parcours normal d’une chanson que sa créatrice ne considère pas comme majeure quand elle doit établir le programme de ses concerts.
Seulement, le public ne l’entend pas forcément de cette oreille, et on découvrira au fil du temps que Drôle de vie s’est inscrite d’une manière très singulière dans la patrimoine intime de plusieurs générations, chanson d’amour étrangement adoptée comme une chanson de copains, comme en témoigneront Patrick Bruel aussi bien que Géraldine Nakache (Tout ce qui brille). Nous y reviendrons.
Au fil des tournées 2005, puis depuis 2011, l’explosion d’enthousiasme qui saluait chaque interprétation du titre n’en finissait pas d’étonner, et finalement de ravir une chanteuse qui l’avait remis en scène presque à son corps défendant.
Véronique au piano,
Michel Bernholc et Michel Berger,
Studio Europasonor, oct. 1972.
Ce n’est en effet pas trahir un grand secret que de révéler que Chanson sur ma drôle de vie ne compte pas parmi les préférées de sa créatrice. Pour celle qui n’aime rien tant que les variations harmoniques subtiles sur base de blues, cette mélodie guillerette sur accords majeurs simples et tempo « à la pompe » doit paraître trop facile. Mais c’est peut-être le secret de son succès : après tout, il n’y a pas tant de titres au répertoire de Véronique qu’on puisse siffloter sans peine. Et le rythme plutôt basique du refrain est aussi le cadre idéal pour décaler la chanson vers des orchestrations jazz ou latino, phénomène bien connu de tous ceux qui ont entendu les nombreuses versions que les jazzmen ont donné des formidables musiques de Georges Brassens, qui ne semblaient pauvres que par leur arrangement minimaliste. Le joli solo de clarinette de la version originale n’était qu’annonciateur de l’improvisation carrément New Orleans donnée sur scène par les cuivres depuis 2011 (à revoir plus bas sur cette page), ou des récentes versions québécoises que nous détaillerons plus loin.
Ajoutons-y l’évidente insouciance des paroles, où la promesse amoureuse n’est pas, pour une fois, annonciatrice d’orages, mais simplement espiègle et joueuse, on a là un cocktail de légèreté que Véronique Sanson n’a pas si souvent servi.
Si on se penche d’un peu plus près sur le texte, pour le coup pas si simple surtout dans les refrains (voir LES CHANSONS), on y lit la parfaite évidence du souci qui a toujours animé l’auteur Véronique : la sonorité des mots doit primer, même sur le sens s’il le faut. Ce qui lui avait d’ailleurs valu de se voir gentiment railler dans les colonnes du magazine satirique Le Crapouillot (« Si l’on se trouve perplexe devant sa pensée, il faut bien se rappeler que les mots n’ont pas le même sens pour le poète et pour le commun des mortels. » !).
On remarque par exemple comment la deuxième strophe du refrain sonne de façon plus percutante que les autres, grâce à cette curieuse rime en milieu de vers :
« Me donne tous ses emblêmes
Me tou-che quand même
Du bout de ses doigts ».
Mais c’est le texte imprimé sur la pochette du disque qui trahit de façon évidente le choix de faire primer la sonorité sur le sens : lisons le pré-refrain initialement écrit, qu’on a visiblement oublié de modifier avant impression (on sait que la finalisation du disque a été chaotique et s’est faite sans elle) :
« Et si je te pose des questions / Qu’est-ce que tu diras ?
Et si tu me réponds / Qu’est-ce que je dirai ?
Si on parlait d’amour / Qu’est-ce que tu dirais ? »
Sur le plan du sens pur, c’est évidemment plus logique, mais sur celui de la sonorité, bien moins percutant que la version finalement enregistrée, où la triple répétition du « Qu’est-ce que tu diras ? » donne toute sa force à ce pont qui installe l’envolée du refrain.
Ajoutons enfin le souvenir toujours vivant pour Véronique de son père qui ne décolérait pas devant son « Et je fais ce que j’ai envie » à peine convenable selon lui, du fait qu’il y manque une suite ( « Et je fais ce que j’ai envie de faire » ). Et reconnaissons sur ce point que le plus académique et paternellement préconisé « Et je fais ce dont j’ai envie » eût été bien moins agréable à l’oreille.
La version survoltée de Chanson sur ma drôle de vie enregistrée à Montreux en 1977 >
voir d’autres images de la belle aventure entre Véronique et le Festival de Montreux sur la page ARCHIVES VIDEO.
Publiée sur quelques 45 tours de Véronique pour les marchés étrangers (voir DISCOGRAPHIE INTERNATIONALE), la chanson connaîtra dans les années ’70 deux reprises hors de nos frontières : en Allemagne en 1974, sous le titre Laβ uns gehn, par Jasmine Bonnin, puis au Pays-Bas en 1977, dans une version en anglais (Crazy Life), de et par Margriet Markerink.
Elle disparaît du répertoire scénique de sa créatrice après 1984, mais en février 1989 alors que Véronique prépare sa rentrée à l’Olympia, où la chanson n’est pas prévue, elle accepte de la chanter devant les caméras de l’émission Avis de recherche, qui prépare une surprise à l’attention de Patrick Bruel. Outre les traditionnelles retrouvailles avec les camarades de lycée qui constituent le principe de l’émission, Patrick Sabatier a en effet décidé de réunir la bande d’amis d’adolescence de celui qui s’apprête à la fin de la même année à exploser avec le titre Casser la voix et l’album Alors regarde, ceux pour qui il chantera Place des Grands Hommes. Et on découvre là que la chanson fétiche de cette belle brochette n’est autre que notre Chanson sur ma drôle de vie, dont on voit donc un extrait enregistré par Véronique, qui ne peut être présente sur le plateau pour cause de répétitions, avant que les potes ne la reprennent (tant bien que mal) devant le chanteur très ému par cette double surprise ; on découvre à cette occasion que Bruel est un grand admirateur de Véronique Sanson (voir ARCHIVES > TV GRAPHIE > 1989).
Près de 25 ans plus tard, fin 2012 exactement, il publie l’album Lequel de nous, dont le premier titre, Dans ces moments-là, évoque à nouveau la bande de la Place des Grands Hommes. Mais la chanson évoque des circonstances autrement douloureuses, on y comprend que l’un d’eux les a quittés, et Patrick s’interroge :
« Qu’est-ce qu’on dit dans ces moments-là ? / (…) /
Qu’est-ce qu’on fait de nos souvenirs ? / (…)
Il aurait voulu qu’on se marre
Que je prenne ma guitare
Et que tout le monde chante comme avant
Cette mélodie de Sanson
Une Drôle de vie, un frisson
Juste quelques notes d’adolescence
Comme des enfants qui s’avancent. »
Rien d’étonnant donc que cette Drôle de vie soit le titre que Patrick et Véronique choisissent le plus souvent quand il s’agit de partager un duo.
Voilà donc notre Drôle de vie définitivement entérinée chanson fétiche d’une bande d’adolescents devenus quinquagénaires. Mais entre temps, une autre génération avait déjà marqué le même attachement à la joyeuse mélodie, et ça avait commencé au Québec. En 2007 et 2009, deux jeunes chanteuses avaient inscrit au programme de leur album respectif leur propre couleur : cool jazz pour Linda Racine, puis résolument salsa pour Ima. Nouvelle preuve que l’apparente simplicité de la chanson lui permet d’endosser sans se dénaturer des habits différents.
Mais le vraie deuxième vie de Chanson sur ma drôle de vie viendra par l’entremise de la jeune Géraldine Nakache, co-réalisatrice et interprète du film Tout ce qui brille, succès surprise de l’année 2010. Le duo de copines qu’elle forme avec Leila Behkti, et qui donne au film une fraîcheur et une énergie irrésistibles, a fait de la chanson un emblème d’audace et de jeunesse, et l’a fait découvrir à toute une nouvelle génération qui avait à peine entendu parler de Véronique Sanson. Le tout sans avoir à dépoussiérer la mélodie ni changer une ligne du texte, qui ne font toujours pas leur âge. À l’énorme succès du film, il faut ajouter le bonus d’un clip plein de malice qui élargit encore la diffusion d’un titre que Nakache avoue avoir toujours eu au cœur, et s’être promis depuis longtemps d’inclure dans un film. Pour les bonus du DVD, une visite chez Véronique est tournée, et l’émotion des deux jeunes femmes rencontrant la créatrice de ce qui est devenu leur chanson n’est pas feinte.
Ajoutons pour être complet deux autres versions en duo, la première par Véronique avec Michèle Laroque au cours de la soirée d’Enfoirés 1997 (Le Zénith des Enfoirés, voir DISCOGRAPHIE > COLLECTIFS). Ce sera l’unique occasion d’entendre les paroles inscrites sur les pochettes, qu’on imagine consultées pour l’occasion, pour que Laroque apprenne la chanson (ou que Sanson se la remémore !).
À voir ici :
Enfin, l’ultime album de Stone et Charden, publié en 2012 quelques jours avant la disparition du compositeur, est consacré aux duos mythiques de la variété française, mais la version de Nakache et Behkti leur offre le prétexte d’ajouter à ce programme le titre d’une chanteuse qu’ils aiment et admirent depuis les années ’70.
Dernier avatar à ce jour de notre Drôle de vie, un nouveau coup de jeune (décidément !) : la version en duo avec Vianney, sur l’album Duo Volatils et sur scène : Fête à Véro à La Rochelle 2018, Vianney à Bercy…
< La version avec force cuivres, extraite de la tournée Plusieurs Lunes captée à Bruxelles en 2011
extrait du dvd Le Cirque Royal de Véronique Sanson
© Warner Music 2012.
JASMINE BONNIN
Laß uns gehn
version allemande de Chanson sur ma drôle de vie incluse sur
• Gelöstes Haar
33 tours Hansa | Allemagne 1974
• Laß uns gehn
45 tours Hansa | Allemagne 1974
réal. artistique : Gregor Rottschalk
MARGRIET MARKERINK
Crazy life
version anglaise de Chanson sur ma drôle de vie incluse sur
• Crazy life / Bird
45 tours Philips | Pays-Bas 1977
• Voor mijn vrienden
CD Multidisk | Pays-Bas 1999
compilation des grands succès
LINDA RACINE
Chanson sur ma drôle
de vie
incluse sur
• Racines
CD Déjà Musique | Québec 2007
Second album de cette chanteuse québécoise qui revisite sur un mode jazzy des classiques de la chanson québécoise, et quelques titres français, dont cette Drôle de vie cool jazz, tempo lent, et cuivres New Orleans.
IMA
Chanson sur ma drôle
de vie
incluse sur
• A la vida
CD Divine Angel | Québec 2009
arrangements et réalisation artistique :
Guy Saint Onge
Le 4ème album de la québécoise Ima, principalement composé de reprises revisitées latino, s’ouvre sur une version très salsa de Drôle de vie (1er single).
voir le clip ici :
GÉRALDINE NAKACHE
& LEILA BEHKTI
Chanson sur ma drôle
de vie
incluse sur
• Tout ce qui brille
B.O.F. CD IDOL | France 2010
CD single IDOL | France 2010
DVD Pathé | France 2010
La comédie surprise de 2010, dont la fraîcheur, l’humour et l’énergie ont attiré plus de 1,4 million de spectateurs. Les deux interprètes principales, Géraldine Nakache (co-réalisatrice avec Hervé Mimran) et Leila Behkti (César du meilleur espoir féminin) y ont fait de Chanson sur ma drôle de vie l’hymne de leur jeunesse espiègle, et ont fait découvrir la chanson de Véronique à toute une génération.
En mai 2010, après le triomphe du film, elles rencontraient la créatrice de leur chanson fétiche avec beaucoup d’émotion. Les images de cette belle après-midi, et le clip de leur version de Drôle de vie figurent au menu des bonus du DVD. (Pathé Video).
STONE & CHARDEN
Chanson sur ma drôle
de vie
incluse sur
• Made in France
CD Warner | France 2012
Un album de reprise de duos célèbres, la reprise par Nakache et Behkti fournissant le prétexte d’inclure le titre de Véronique.